10 mai 2020, écrit par Filippo Passaniti
Avec trois questions proposées aux prêtres de notre diocèse [Bologne], il nous a été demandé de nous exprimer sur les indications que l’Esprit Saint suggère à notre Église en ce moment. Quelles expériences significatives ont émergé pendant la période d’urgence telles que les questions urgentes auxquelles il faut répondre.
Je crois qu’il est difficile de dire avec certitude quelles sont les indications de l’Esprit Saint. D’une part, parce qu’il est connu que l’Esprit Saint ne parle pas de manière immédiate, explicite et selon nos modalités. D’autre part, parce que chacun pourrait exprimer sa pensée en la présentant comme une indication de l’Esprit Saint alors que ce dernier ne peut pas démentir ces affirmations.
Je crois donc que nous comprendrons mieux plus tard ce que l’Esprit Saint aura dit à l’Eglise en cette période.
Nous pouvons cependant nous laisser interroger profondément par ce que nous vivons, le confronter avec la Parole, tenter d’en donner une lecture sapientielle (relative aux cinq livres bibliques), sans la prétention de trouver immédiatement des réponses pratiques et propositions ponctuelles.
Il me semble utile d’inverser l’ordre des questions proposées, parce que, dans ma façon de raisonner, les expériences significatives que nous avons vécues peuvent ensuite nous amener à rechercher les inspirations de l’Esprit Saint.
Je précise que par “expériences significatives”, je n’entends pas les initiatives que nous avons imaginées ces dernières semaines pour avoir une vie active et garder des contacts communautaires (chacun a fait de son mieux et selon sa sensibilité), mais plutôt ce qui a touché en profondeur notre vie personnelle et communautaire se révèlant comme “une expérience significative”, précisément, et pas toujours immédiatement agréable.
Quelles sont les “expériences significatives” qui ont émergé?
Dépouillements
Je crois que l’expérience la plus forte que nous ayons vécue durant cette période, est celle d’un grand et rapide dépouillement. En fait, c’est aussi un grand traumatisme psychologique. Impuissance, incertitude, peur, (solitude et/ou isolement) sont des mots qui sont devenus fréquents dans notre langage et dans la vie de nos communautés.
Nous avons été dépouillés de nos habitudes et de nos activités qui représentaient la base même de notre identité. Ce qui a été inévitablement une remise en question de notre identité d’Église et de prêtres.
Ce traumatisme nécessite un accompagnement et un traitement à long terme.
Confirmation
La souffrance et le malaise que nous avons éprouvés, nous-mêmes et nos communautés, nous ont fait voir qu’une certaine façon de vivre la messe et les sacrements, les dévotions personnelles avec la centralisation sur le clergé et sur les locaux paroissiaux, les actions sur lesquelles s’appuie effectivement notre pratique pastorale habituelle.
Avec le problème jamais surmonté, ce vécu manifeste une vision de l’Eglise plutôt préconciliaire.
Mais dans notre imaginaire pastoral, ce sont les choses les plus évidentes et les plus faciles (la messe est déjà prête et puis elle “va sur tout” comme la couleur noire sur les vêtements).
Il a été difficile d’imaginer que la Foi, la vie chrétienne pouvaient prendre des formes différentes et des lectures profondes de ces réalités : nous avons donc tous été amenés à reproduire ces mêmes actions sur les plates-formes numériques.
Nous avons en outre eu confirmation que le peuple dans sa majorité n’était pas préparé à vivre de manière active, créative et responsable les expressions de sa Foi. Cependant, avons eu la surprise de constater justement que, même non préparés, les fidèles ont manifesté des expressions créatives et familières.
Réactions
L’arrêt soudain de tout dans la vie extérieure de l’Eglise, nombreuses et diverses sensibilités qui étaient sous-jacentes dans la vie de l’Eglise et donc également dans nos communautés paroissiales, ont été révélées au grand jour.
Des façons différentes de voir sont apparues clairement et parfois avec violence : qu’est-ce que l’Eglise (dans le monde ? Face au monde ? Alternative au monde ?
Qu’est-ce que la communauté ?
Que doit faire la paroisse ? Qu’est-ce que la messe (nourriture spirituelle? dévotion personnelle?
Quelle est la forme la plus valable de la prière communautaire? (Une communauté qui célèbre la présence du Seigneur)
Qu’est-ce qu’un prêtre ? (Ministre? Chef? Père? Frère? Organisateur? Responsable? Médiateur entre Dieu et les hommes?).
De nombreuses et diverses réactions à cette situation ont émergé, des réactions pastorales, des réactions de réflexion, des réactions de générosité créative mais aussi des positions idéologiques qui n’ont pas épargné des jugements sur les réactions des autres.
Je crois qu’il faudra tenir compte de cette multiplicité apparue de manière problématique, surtout quand nous voudrons “tirer les ficelles” ou mieux quand nous pourrons faire un discernement serein.
Découvertes et surprises
Je crois que nous faisons tous l’expérience de voir germer de belles choses et à certains égards inattendues : la redécouverte de relations plus authentiques, la redécouverte du partage de la foi en famille; la redécouverte d’un contact plus profond avec la Parole de Dieu.
Quelles sont les indications de l’Esprit?
Comme je le disais auparavant, nous ne pouvons pas savoir actuellement les indications de l’Esprit Saint.
Je sais cependant que nous avons des indications précieuses de l’Evangelii gaudium (et du Congrès de Florence) et je constate que ces indications correspondent aux “surprises” que nous voyons germer dans cette situation.
Je vois aussi qu’un grand nombre concorde aux soulignements émergés lors des assemblées des zones pastorales faites avant l’urgence sanitaire.
Devenir audacieux et créatifs en repensant des objectifs, des structures, des méthodes, pour passer d’une pastorale de conservation à une pastorale missionnaire, de proximité et de rencontre personnelle.
Affronter aussi l’individualisme en tissant des liens, en soignant les relations et la communion, en cultivant le discernement avec un regard contemplatif et non pas de contrôle, en ayant la conviction que tout le peuple de Dieu annonce l’Evangile, la centralité de la Parole et du kérygme, le visage maternel de l’Eglise.
Perspectives et opportunités
Evangelii gaudium et aussi cette situation difficile nous “autorisent” à imaginer et à éprouver des formes nouvelles pour exprimer la vie chrétienne : redécouvrir sobriété et essentialité, veiller à la qualité des relations et à la recherche de formes de proximité, développer la créativité comme communautés paroissiales et surtout dans les familles.
Réévaluer le sacerdoce des baptisés et, en même temps, réévaluer le baptême des prêtres : c’est-à-dire, encourager la créativité et la responsabilité ecclésiale des laïcs tout en retrouvant une dimension humaine, évangélique, fraternelle de la vie du prêtre et en redimensionnant tout ce qui est centré sur lui : le pouvoir, la visibilité et les responsabilités.
Approfondir le sens profond de l’Eucharistie, selon l’Ecriture et le Concile et par conséquent, redimensionner l’omniprésence des messes.
Risque
Les structures (mentales et pastorales) dont nous avons été dépouillés gardent en fait un grand poids : elles reviendront avec force (dans notre inconscient et probablement aussi dans de nombreuses demandes que nous recevrons des personnes), elle seront récupérées et rétablies.
Le risque est justement de vouloir rassembler les choses belles et nouvelles que nous avons découvertes “en les ajoutant” à celles que nous avions l’habitude de faire et que nous essayerons inévitablement de rétablir, rapidement, le plus tôt possible (ce serait aussi une façon de ne pas écouter en profondeur ce qui nous est arrivé).
Mais comment, par exemple, investirons-nous nos énergies dans la recherche de proximité, d’élaboration de la Foi à la maison et en famille si les locaux paroissiaux sont toujours au centre de nos activités et de nos pensées (et de nos implications personnelles) ?
Comment nous engagerons-nous dans l’accompagnement des enfants au moment où se posent les grandes questions de la vie, si nous sommes tous pris par l’organisation des premières communions et confirmations?
Comment entretiendrons-nous les relations et l’écoute si la plus grande partie de notre temps est consacrée à l’organisation d’activités, de liturgies (sans parler des engagements administratifs des curés et de plus, actuellement, la mise en place de la sécurité sanitaire pour éviter la diffusion du virus)?
Comment mettrons-nous la Parole au centre si elle est “enclavée ” entre les célébrations des diverses messes?
Quelles sont les questions urgentes auxquelles il convient de répondre?
Je crois qu’il est prématuré de trouver tout de suite des réponses spécifiques et des propositions ponctuelles faites sur la table. Il s’agira de redessiner les rapports et le tissu ecclésial, dans l’entrelacement des trames données par Evangelii gaudium et par ce qui, prometteur et génératif, est apparu dans les familles et dans les communautés durant cette tribulation.
Peut-être faut-il également prévoir et accepter que nous n’aurons pas tout de suite des réponses concrètes.
Toutefois, des questions urgentes seront évidemment celles relatives au domaine des relations, en particulier l’accompagnement des personnes et des communautés dont les difficultés nous interpelleront du point de vue économique, humain-psychologique, spirituel, relationnel et communautaire tout en gardant à l’esprit que nous avons vécu cet inconfort, nous et les prêtres aussi.
Enfin, ce “dépouillement” a été et reste un important exercice de détachement.
Pour plusieurs d’entre nous, cela a été un détachement dramatique par le décès des personnes chères.
Pour nous tous, cela a été un détachement vécu avec douleur en étant dans l’impossibilité de rencontrer nos proches.
Et puis cela a été aussi le détachement de nos habitudes et de nos activités (et l’activisme) qui remplissaient les divers moments de notre vie.
Je crois donc qu’un mot important sur lequel nous sommes invités à nous arrêter aujourd’hui, en tant que question urgente, est “laisser”.
Comment sommes-nous confrontés à ce mot?
Qui nous aide à traverser le traumatisme de ces séparations qui ont touché notre vie et notre identité ? Comment allons-nous faire face à la peur de repartir ?
En plus d’avoir subi ce traumatisme, nous devrons également choisir de laisser des aspects de notre vie ecclésiale habituelle.
Serons-nous capables de faire ces choix?
Comment allons-nous accompagner les communautés qui doivent laisser des habitudes bien établies ne correspondant plus au temps que nous vivons, pour s’investir dans des voies inédites?
Pour cela, il sera important en tant qu’Eglise (et aussi en tant que prêtres) de donner un nom aux peurs, sinon elles orienteront les choix (ou non les voies choisies) : peur de devenir insignifiants, de perdre de la visibilité, de perdre de l’importance sociale, de perdre l’identité, la popularité, le contrôle «Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté» (2Co 3,17) : pouvons-nous imaginer aussi que là où il y a la liberté il y a l’Esprit du Seigneur?
Le père Filippo Passaniti est curé dans la zone pastorale de Granarolo dell’Emilia (diocèse de Bologne). (Traduction : Gustavo Pez, correction : Véronique Huet, Narbonne 2020)